Ce récit est basé sur des faits réels qui se sont produits à Lyon en 2009.
Un homme entre dans un supermarché et, au rayon des boissons, ouvre une canette de bière et la boit. Quatre vigiles surgissent, l’encerclent puis l’emmènent dans la réserve. Là, au milieu des boîtes de conserves, ils vont le battre à coups de poings, il ne se relèvera pas. Un narrateur, qui pourrait être un proche de la victime, s’empare de cette histoire et va tenter par les mots de faire revivre l’homme disparu. Et c’est comme une grande consolation. Laurent Mauvignier extrait son personnage de l'oubli et de l'indifférence en lui donnant une voix. Il tend un miroir à notre société contemporaine et réussit à nous relier à notre humanité.
(…) on meurt et les mots s’évanouissent, et pour lui maintenant il y a le sommeil pour oublier – désolé, pas de grandes phrases, je regrette, il aurait sans doute aimé te donner des conseils que tu aurais gardés pour toi pendant des années, secrètement, comme une connaissance de la vie très calme et paisible pour te consoler de sa mort et de son absence, pour te dire, je suis là quand même et te répéter qu’avec lui rien ne meurt et que tout continue pour toi, les mois, les jours, les nuages, le ciel, la télé, les conneries à payer et la Coupe du monde et les enfants dans lesquels la vie pousse comme une plante sauvage qu’on n’abattra pas comme ça, des conseils de vieux sage auxquels tu aurais repensé de temps en temps, les jours de pluie ou de déprime, en te souvenant que tu avais un frère et que ce frère, s’il y a des choses après la mort, je ne dis pas des choses comme l’au-delà, mais quoi, je n’en sais rien, juste pour dire qu’il veillerait sur toi de là-haut ou même d’en bas s’il y avait un haut et un bas, mais n’y compte pas trop, parce que personne ne compte vraiment, ne compte pas, sur personne ni pour personne car à la fin tout dort dans l’oubli et ce n’est pas plus mal, ça, d’oublier, quand je sais qu’il aura eu pour derniers instants un monde bien triste à contempler, ses gestes et ses larmes à la fin quand les cris ne pouvaient plus rien et ses sanglots à la fin, la résignation, les mains s’accrochant à l’air vide et aux haleines trop fortes, la sueur et l’odeur poivrée du déodorant, …)
Ce que j’appelle oubli - Laurent Mauvignier